En 2013, la Compagnie L'Outil de la ressemblance, Canton de Neuchâtel, direction Robert Sandoz, crée la pièce De mémoire d'estomac, pour laquelle Antoinette Rychner a reçu le Prix InédiThéâtre 2011.
Création au CDN Besançon Franche Compté, du 22 janvier au 2 février 2013.
20 avril, TPR, la Chaux-de-fonds
30 avril - 5 mai, AM STRAM GRAM, Genève
14 mai, Théâtre de Bourg en Bresse
Mise en scène Robert Sandoz
avec Romain Dutheil, Vincent Fontannaz, Aurore Jecker, Flore Lefebvre des Noëttes
Dès sa naissance, le père et la mère s’aperçoivent que la petite est différente, au moins de leurs attentes. Son bras n’est pas comme celui des autres, c’est peu, mais suffisant pour qu’ils l’abandonnent à son sort. Elle, née pour aimer la vie mais plongée d’emblée dans la dureté du monde, va trouver un allié inattendu, de ceux qui facilitent l’existence dans les contes de fées : son estomac ! Philosophe empirique, doué de parole, tordu dans tous les sens par la faim, la peur et l’amour, il est surtout doté de la mémoire de ses réincarnations successives. Au fil des rencontres - un petit garçon différent lui aussi, une sorcière croqueuse de pommes et son amoureux caché dans le placard... - l’estomac et la petite fille vont apprendre à exprimer leurs sentiments dans le monde en constante évolution qu’est la vie. La différence initiale de la petite, qui l’enserrait, va se muer en un bel et poétique instrument de partage.
D’apparence enfantine, De Mémoire d’estomac s’avère être une fable des plus sérieuses : certes Antoinette Rychner, jeune auteure suisse, utilise les codes du conte, mais pour y distiller de l’ambiguïté et s’écarter des situations convenues du genre. La morale de la pièce pourrait tout à fait être : «la vie est dure et injuste donc passionnante et belle !». Partant, Robert Sandoz destine son spectacle d’abord aux adolescents, à ceux qui se frottent au monde pour se construire une identité et contrer les incertitudes ; pour autant, chacun, adultes ou enfants, pourra se plonger dans son univers. Il envisage une mise en scène où les acteurs jonglent avec les codes théâtraux et où la musique accompagne la narration jusqu’à se muer en véritable personnage. Dans un décor coloré, peuplé d’objets, sera ainsi fabriqué chaque soir un univers se situant entre la rêverie incarnée et le bricolage visuel et sonore. Par la puissance d’un théâtre faisant feu de tout bois, il s’agira bien d’embarquer les spectateurs et de mettre à mal toute distance entre eux et un monde qui joue de la rugosité et des ambiguïtés actuelles.
Lumière Philippe Maeder, scénographie Nicole Grédy, musique Olivier Gabus, costumes Anne-Laure Futin
Production Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté, L’Outil de la ressemblance, coproduction Arc en Scènes – Centre neuchâtelois des Arts vivants TPR, Théâtre Am Stram Gram – Genève
Voir un reportage sur la création
Lire trois articles (cliquer sur l'image pour ouvrir l'article) :
LE PROGRES, (F) 26 janvier 2013
L'EST REPUBLICAIN, (F) 18 janvier 2013
L'EXPRESS, (CH) 19 avril 2013
Ecouter une interview radio d'Antoinette Rychner, (émission "les fraises dans le radiateur")
Ci-dessous, A.Rychner répond à des questions de Anne-Catherine Bolay Bauer, membre des "Amis du TPR", Arc-en-scènes
1. Qu'est-ce qui vous amenée à vouloir écrire Mémoire d'estomac?
Au départ, c'est Laure Fallet (la compagne de Robert Sandoz, qui a fait des études théâtrales) qui m'a proposé d'écrire à partir d'une sorte de vision personnelle, celle d'une fille avec un bras en forme de violon. Je me souviens qu'en m'expliquant de quoi elle parlait, elle a eu un geste, coude replié, en direction de l'interrupteur mural, pour figurer un handicap qui n'empêcherait pas des actions quotidiennes, comme allumer la lumière. Ce geste a aussitôt généré une émotion, des images. J'ai dit à Laure que j'essayerais. Son intention de départ était de créer un spectacle de marionnettes. Je crois que cette indication a également joué un rôle, comme une autorisation de liberté accrue – peut-être n'aurais-je pas osé introduire ce personnage d'estomac si je ne m'étais pas dit que le support final serait celui des marionnettes et que je pouvais donc me le permettre.
Cet échange a eu lieu en automne 2008. Suite à quoi je suis partie à Lyon pour étudier le semestre d'hiver à L'ENSATT, dans le département d'écriture dramatique (dans le cadre des ma formation à L'Institut littéraire suisse). J'ai envoyé à Laure des extraits, premiers jets, etc., et elle m'a aussitôt renvoyé des retours enthousiastes, qui m'ont beaucoup poussée à développer la pièce.
Au final, c'est Robert Sandoz et non Laure Fallet qui a porté ce texte à la scène. Mais ce point de départ reste important pour moi, jamais je n'aurais eu cette impulsion sans la proposition de Laure.
2. En écrivant cette pièce, la destiniez-vous à un public d'un âge particulier?
A l'enfance et l'adolescence, mais sans tranche d'âge particulièrement ciblée, non. Au moment de l'écriture, je suis entrée dans un monde intime, relié à l'état d'enfance, où traînaient des figures de contes de fées, des perceptions fantaisistes, la question du grandir.
Il y avait la nécessité de dire la vie de façon crue, accidentée, colorée, mais sans ironie. L'ironie fonde la plupart de mes autres textes, mais peut-être est-ce là un délice d'adultes. Il me semble que les enfants sont très sérieux et premier degré dans le regard qu'ils portent sur les choses, et qu'ils attendent de nous une implication sérieuse dans ce que nous leur racontons. Ce qui n'empêche pas, bien entendu, de s'amuser du et avec le réel. Freud disait : "Le contraire du jeu n'est pas le sérieux, mais la réalité". (Der Gegensatz zu Spiel ist nicht Ernst, sondern Wirklichkeit.)
3. Parmi les divers thèmes de la pièce, quel est celui que vous avez eu le plus à coeur de développer?
Le dilemme existentiel qui consiste à se reconnaître comme un tout (corps, âme, caractéristiques, défauts, voix, pouvoir individuel de parole) bref, comme un sujet libre de s'exprimer, d'aller où bon lui semble, mais chargé aussi du devoir de se construire une identité, une mémoire, des références. Je suis toujours fascinée quand je vois les bébés qui s'agitent, expérimentent l'air, la lumière, le toucher… ils doivent apprendre à distinguer ce qui est eux de ce qui ne l'est pas. Tout au long de la vie, nous fonctionnons comme un système en soi, et en même temps nous faisons partie d'un corps plus grand, d'un mouvement qui nous dépasse. Nous sommes éléments de la communauté humaine, mais aussi de la nature, du cosmos… Parfois les délimitations qu'on attribue à l'individu me semblent réductrices ; limites du corps justement, mais aussi de la nationalité, du sexe, du prénom, de l'âge, de la filiation…
(Peut-être que cela explique un certains nombres d'exactions commises, car si nous avions la sensation que l'arbre ou l'animal ou le voisin faisait partie de soi, "était soi" au même titre que notre propre personne telle que nous avons appris à la délimiter, on ne lui ferait pas subir ce qu'on n'aimerait pas subir soi-même.
Bien entendu, il y a l'expérience de la souffrance physique, et de la mort que personne ne peut vivre à notre place et qui est éminemment individuelle, impartageable.)
L'héroïne de ma pièce doit tout apprendre très vite: ce qu'elle est censée être (une petite fille), comment utiliser ses organes, la parole, comment se maintenir en vie. Comme elle a été abandonnée à la naissance, elle est en situation de survie et doit se dépêcher d'intégrer les normes et usages du monde. Bien sûr, tout est raconté en accéléré, mais les principales étapes sont là.
La plus difficile, sans doute, est de trouver sa place au sein des autres. Notre héroïne a un bras singulier, qui ne ressemble à aucun autre bras. Cela lui pose évidemment des problèmes, lui cause des souffrances car cette bizarrerie attire le regard des villageois. Du coup, elle est terrorisée par l'idée du village, de ses semblables, de leur regard sur elle. Pour permettre le jeu, le symbole, j'ai attribué à mon personnage une distinction physique très forte, mais je pense que n'importe quel individu, et particulièrement à l'adolescence, est susceptible de traverser ce genre d'épreuve; on est persuadé d'avoir un défaut que tout le monde voit, on en fait une énormité, une obsession. On est hanté par l'idée d'être différent des autres, donc possiblement rejeté, regardé de travers. C'est l'horreur de passer devant un arrêt de bus où attendent d'autres élèves de son collège, par exemple…
Et en même temps, quel cauchemar ce serait si on était tous des clones et que rien ne nous permettait de nous différencier les uns des autres !
4. Mémoire d'estomac, pourquoi ce titre?
(Devenons-nous ce que nous ingérons?)
C'était pour donner le point de vue de l'estomac, pour prendre grâce à lui du recul sur l'histoire qui nous est racontée. En définitive, tout ce que nous voyons provient de sa mémoire, à lui qui a survécu. En effet, l'estomac ne meure pas avec la jeune fille. Il a un pouvoir de réincarnation (très fantaisiste et ne se basant sur aucune théologie particulière, je dois dire). Il renaît tour à tour dans le ventre de différents personnages ; il a été l'estomac d'un Monsieur Ozaki, qui "lui a tout appris". Puis il et l'estomac de notre héroïne, puis, comme nous le laisse deviner la dernière scène, il sera l'estomac d'un enfant… de langue allemande !
Il peut donc comparer différents destins humains. Il peut s'adresser à nous pour nous faire comprendre que "de mémoire d'estomac, on n'avait encore rien vécu de tel ! "
Cela permet aussi de loger une forme d'expérience, de savoir à l'intérieur du corps de la petite fille abandonnée alors qu'elle n'est qu'un bébé. L'estomac sera la voix de la survie, il lui ordonnera de manger pour s'en sortir.
On pourrait y voir l'instinct, ou encore des règles de conduite propre à l'espèce, et transmises par les gènes. Comme une somme d'expériences collectées avant la naissance de l'individu et que ce dernier transporte avec lui pour affronter les différentes épreuves de la vie. A ceci près que cet estomac bien spécial véhicule non seulement de l'inné, mais aussi de l'acquis, du culturel, de la civilisation. (Raffinement de nourritures, de récits, etc.)
C'est ce partage "à travers les corps" qui fait peut-être lien avec le thème développé à la question précédente ; nous sommes "reliés" d'individus à individus par des éléments partagés, communs, transmis, en l'occurrence incarnés par l'estomac.
5. Pourquoi avoir choisi de représenter l'estomac comme personnage distinct de la personne à qui il appartient?
J'ai en partie répondu plus haut (l'estomac est une somme d'expériences véhiculées séparément de la personne à qui il appartient. C'est une sorte d'héritage, de dot.)
Mais théâtralement, c'est aussi la possibilité d'une force antagoniste à la personne à laquelle il appartient.
Par exemple, il peut ordonner à la petite fille de manger l'écureuil, quand la petite fille, elle, est attendrie, et ne désire pas manger la mignonne petite bête…
L'estomac représente les pulsions fortes que nous affrontons, que nous devons parfois combattre car notre raison, ou nos intérêts, ou notre éducation civilisée ou encore notre coeur nous demandent d'agir autrement.
Dans une version intermédiaire du texte, il y avait aussi un autre organe, le coeur, qui était séparé de l'héroïne. Le coeur était parfois en lutte contre l'estomac. Mais j'ai préféré simplifier, radicaliser, car il me semblait que l'amour notamment s'expérimente par le ventre, par des sensations physiques du ventre plutôt que du coeur, malgré la tradition qui nous fait lier le coeur aux sentiments.
6. En cours de création du personnage de l'estomac, comment vous vous le représentiez-vous?
Je ne me le représentais pas. Parfois, je m'interrogeais sur le défi que cela représenterait pour une mise en scène ; comment "résoudre" physiquement une telle figure ?
Mais mentalement, quand j'écris, cela se passe davantage dans l'oreille que par la vue. J'"entends" parler des personnages, je "sens" des forces en conflit ou en attirance. Mais je ne les vois pas vraiment. Quand je vois quelque chose, ce ne sont ni des silhouettes de personnages, ni une scène avec des comédiens dessus ou une scénographie, mais des lieux extérieurs, des lieux que je connais et auxquels je rattache des scènes, ou dans lesquels je me place moi-même, un peu comme on situe une action dans un lieu connu lorsqu'on rêve.
7. Quelle a été votre réaction en découvrant le personnage de l'Estomac sur scène?
Il ma semblé que le comédien parvenait fort bien à "exister en tant que pure pulsion". Il est animé du désir de manger, d'aimer, d'éprouver les choses physiquement et jusqu'au bout. Il n'est pas du tout inhibé, mais il détient quand même sa petite science, ses petits laïus, "l'expérience" dont je parle plus haut, qui lui permet de tenir un discours référencé, civilisé. C'est ce qui le rend attachant, car humain. (désir de se justifier, de se constituer, d'avoir raison, etc…)
Je l'ai trouvé drôle et j'étais très heureuse et émue car lorsqu'il intervenait, j'entendais des rires d'enfants dans le public.
8. La mise en scène de Robert Sandoz s'éloigne-t-elle de votre propre représentation
de votre pièce?
Je suis arrivée très en confiance, car je connais Robert, nous avons déjà collaboré ensemble, c'est un ami. Toutefois je n'avais pas vu la moindre répétition, c'était vraiment la surprise. Je tenais à cela, car dans d'autres cadres je collabore avec des compagnies pour qui j'écris de manière évolutive, en lien étroit avec l'avancée des répétitions et pour une fois, j'avais envie de disparaître du plateau et de laisser faire l'équipe, de jouer à l'auteur mort, celui dont le texte fait foi, est immuable (la publication du texte en amont le permettait aussi) et à qui on ne peut plus demander d'expliquer, de justifier ou de modifier telle ou telle réplique.
Dès la première scène, j'ai été ravie car contrairement à ce qui arrive parfois, la représentation ne détruisait pas du tout mes formes et intuitions intérieures. En fait, ce que j'avais vécu mentalement et ce qui existait sur scène coïncidait librement, se superposant, s'enrichissant sans conflit.
9. Comment comprendre la disparition des deux jeunes à la fin de la pièce?
C'est quelque chose de très brutal. Tout à coup, ils meurent et leur mort est parfaitement injuste et inexplicable.
Je crois que de nombreux événements de la vie le sont. Dernièrement, dans la région, nombre d'entre nous en ont eu la preuve quand le regretté directeur du théâtre de la Poudrière, Yves Baudin, et décédé brutalement. De tels événements ont de quoi nous plonger dans une perplexité abyssale. Qui pourrait prétendre qu'une telle disparition, aussi choquante, bouleversante, fasse sens ?
Le grand mensonge de la fiction, c'est d'organiser les événements de façon à donner l'illusion d'un sens. Nous aimons écouter des histoires, car elles nous donnent l'impression que nos vies sont organisées d'après une force logique, c'est très rassurant. A travers les romans, les films, nous pensons "voilà comment est la vie ! et à quelles lois immuables obéit le cours de nos existences".
Je ne veux pas condamner la fiction pour cela car elle est un art suprême, difficile, admirable, aux effets bénéfiques ; d'une façon moins dogmatique qu'une religion, l'être humain est consolé, aidé. Mais je pense, particulièrement dans le cas d'une oeuvre se destinant à des enfants et adolescents, qu'il ne faut pas craindre de montrer la violence de la vie, ses énigmes. Pourquoi prétendre qu'on peut tout maîtriser ? Ou que tout se passe selon notre conception de justice ? se serait mentir.
Je me suis beaucoup interrogée sur cette fin qui vient de nulle part (intoxication par un mauvais champignon), qui est imprévisible, non commanditée. Aristote, le grand fondateur des règles de l'art dramatique, précise que la catastrophe doit entrer dans une relation de causalité, qu'elle doit survenir à partir d'un élément préalablement présent dans l'intrigue. Il cite en exemple une mort venant par écrasement-surprise sous un rocher, et la qualifie de solution médiocre, car sans lien avec les éléments précédents de la pièce. Une solution "surgie de nulle part" est incompréhensible, absurde, l'esprit la rejette comme un corps étranger.
Même si, en tant qu'acte de chair, de sustentation elle est en lien avec l'estomac présent tout au long de la pièce, l'absorption d'un champignon vénéneux ne serait sûrement pas admise comme un bon pivot dramatique par Aristote et en relisant ma fin, j'aurais dû m'auto-administrer un carton rouge. Pourtant je l'ai retenue, justement pour son absurdité, sa brusquerie qu'en définitive, je voulais assumer.
J'ai le sentiment que si j'avais laissé vivre ces deux jeunes gens jusqu'à la vieillesse, ils auraient vécu heureux.
Mais si on avait récupéré leurs bras pour en faire un violon après cette longue vie, je crois que l'instrument n'aurait pas sonné aussi bien que celui formé par le bras de deux jeunes gens. Pour faire une belle musique, il y avait besoin de la passion de la jeunesse, et sans doute d'un sacrifice.
Je ne crois pas que l'humanité aurait la musique qu'elle a s'il n'y avait pas la souffrance. La beauté me semble liée à l'épreuve, à la lutte contre le désarroi, l'injustice, au désir de s'élever, de se consoler et de se défendre.
Enfin, j'ajouterais que des accompagnantes d'enfants handicapés moteurs qui sont venus voir le spectacle à Besançon m'ont rapporté "qu'elles n'étaient pas sûres que ces enfants aient compris ce qui advenait à la fin, mais qu'elles n'avaient pas souhaité insister sur ce point".
J'en ai été très touchée, car en voyant le spectacle, j'ai aussi ressenti la fin comme un moment simple, léger, sans douleur pour les jeunes gens qui meurent. La souffrance est pour ceux qui restent.
Je suis heureuse que de jeunes spectateurs aient pu voir dans cette fin autre chose qu'une mort et j'approuve la décision des accompagnantes de ne pas leur imposer leur interprétation de la fin. C'est le meilleur gage qu'on pouvait me donner sur l'ouverture de la pièce, ses différentes possibilités de sens.
10. Avez-vous mis en route un autre projet d'écriture théâtrale?
Oui, plusieurs.
Actuellement, une autre de mes pièces tourne en Suisse romande. Il s'agit de "Intimité Data Storage", mis en scène par Jérôme Richer, Création 27-28 février 2013 à l'Echandole à Yverdon. Reprise à l'Usine à Gaz à Nyon le 7 mars 2013, à Saint-Gervais Genève le Théâtre du 12 au 27 mars 2013 et au Petithéâtre à Sion les 16, 17 et 18 mai 2013.
Du 13 au 17 mai, dans le cadre du Feu au lac, laboratoire spontané du théâtre AM STRAM GRAM, Genève, je présenterai une lecture-performance avec Emmanuel Du Pasquier dit Paxon.
Je prépare également une création avec le chorégraphe Philippe Saire, mêlant texte et mouvements, et qui sera présentée au festival du FAR à Nyon en août 2013.
11. Pourquoi le sous-titre : … ou l'invention du violon ? (ou/et?) en fait quel est le lien entre le titre et le sous-titre ?
Le sous-titre "L'invention du violon" se réfère bien sûr à la scène durant laquelle le personnage des "parents", ou Alphonso et "la vieille" se retrouvent héritiers des deux bras de leurs enfants perdus.
Les bras, du vivant des enfants, étaient organiques, à la manière des ongles et des cheveux. Mais suite à leur mort, ces bras se sont "détachés" d'eux. A présent ils ont durci, sont devenus des souvenirs, des objets autonomes.
Il faut rappeler également que ces bras ont été "travaillés" par Alphonso, sorte de sculpteur fou, du vivant des enfants. Mais Alphonso, une fois son travail de sculpture terminé s'est révélé incapable d'expliquer ce qu'il avait réalisé, ce qui du reste a beaucoup déçu les enfants, qui, à mon avis, espéraient plutôt une standardisation de leurs bras vis à vis des normes physiologiques humaines.
Alphonso se retrouve donc face à l'inconnu, à l'étranger devant le résultat de son propre travail. C'est une métaphore importante à mes yeux, celle du mystère de la création. Un artiste cherche, se creuse un chemin dans les idées, suit son intuition, il est sensible à des impulsions venues d'on ne sait où. Mais il ne sait pas forcément ce qu'il fait, où il va. Il avance à tâtons. Ça ne sert parfois à rien de lui demander de s'expliquer.
Ce n'est que par accident qu'il va découvrir que les deux bras-instruments qu'il a réalisés, une fois mis en contact l'un de l'autre, produise du son, de la musique. C'est l'histoire d'une découverte, d'une conquête.
Lien entre titre et sous-titre : J'ai déjà parlé de l'estomac plus haut, en expliquant qu'il véhiculait un savoir, de l'acquis. Je pense que le violon, lui, est présenté au moment où il n'existe pas encore en tant qu'acquis. Nous l'appréhendons alors qu'il est en pleine invention, en pleine constitution. Comme beaucoup d'inventions humaines, il doit beaucoup au hasard. Nous assistons au moment où les deux parties de l'instrument sont nommées : on voit que l'archet ne doit son nom qu'à un éternuement d'Alphonso. L'écriture théâtrale permet cela ; le fait de replacer des fondamentaux (quelque chose d'aussi connu, reconnu, inscrit dans la tradition que le violon dont on a l'impression qu'il a toujours existé) dans l'instant, dans la fragilité.
Ce qui m'importe également d'un point de vue symbolique, c'est que le point de départ, c'est une malformation, une réalité déplaisante, que personne ne souhaitait. Et cette différence, cette distorsion, cette "erreur" de la nature, à travers le travail créatif d'Alphonso et la mort des deux protagonistes en pleine jeunesse produit un instrument capable de ravir l'oreille humaine. Il a fallu beaucoup de coïncidences, d'épreuves, de drame et aussi de chance pour que cela advienne.
Il va de soi que je ne m'attache pas aux origines historiques réelles de cet instrument. Tout cela s'opère sur un plan purement fantaisiste et symbolique; c'est notre liberté de fabulateurs, il faut la prendre.
Pour terminer, je voudrais ajouter que la mise en scène a rendu visuellement possible un phénomène très signifiant et beau : le violon est présent dès le début de l'histoire. Il pré-existe. C'est comme s'il avait toujours pré-existé en tant que possible, mais il fallait que toute l'histoire se déroule pour qu'il soit découvert. C'est là quelque chose que j'ai voulu induire dans la pièce, mais qu'on ne peut pas voir à la lecture du texte.
Avec la présence de la musicienne Elodie Steiniger sur scène, ce phénomène se réalise. En tant que spectateur, on voit le violon pré-exister et nous savons quel est cet instrument, comment il se nomme. C'est seulement les personnages qui l'ignorent. Quand enfin le violon, après la tragique mort des enfants est porté, intégré, introduit dans l'espace de fiction, la violoniste change de statut. Elle devient personnage de la fiction et le violon devient réalité dans la vie des personnages. C'est le genre de miracle que la scène permet et c'est pour cela que je continue à aimer cet art.